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Le réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes soutient les projets d’abattoirs mobiles

Publié le : 25 mai 2018

Un article portant sur l’expérimentation d’abattoirs mobiles a été adopté dans le projet de loi agricole en commission a l’assemblée nationale. L’article devrait être voté en séance plénière à la fin du mois de mai 2018. C’est l’occasion de faire un point sur la situation des abattoirs en France et de voir en particulier quelles sont les solutions que peut apporter l’expérimentation des abattoirs mobiles à travers plusieurs exemples non exhaustifs.

La situation autour des abattoirs en France

La question des abattoirs a beaucoup fait réagir ces derniers temps. Des vidéos tournées clandestinement dans des abattoirs, ont révélé des actes de maltraitance causant la souffrance et la détresse des animaux, ce qui a beaucoup mobilisé l’opinion publique, et obligé le gouvernement d’alors à proposer de légiférer sur le sujet.

S’il était grand temps d’alerter sur la situation, il est important de rappeler que les premières personnes qui souffrent de la maltraitance des animaux en abattoir sont d’abord les éleveurs et éleveuses. Les employé-e-s des abattoirs se retrouvent aussi soumis-e-s à des conditions de travail affectant leur santé et leur moral, en particulier en matière de rythme de travail.

Ces problèmes sont les effets d’un processus d’industrialisation qui a causé  la diminution du nombre d’abattoirs, leur concentration, et dans de nombreux cas, leur privatisation. En France, leur nombre a été divisé par 4 entre 1970 et aujourd’hui : il n’y a plus que 263 abattoirs d’animaux de boucherie contre 3 500 en Allemagne et 1 650 en Italie. La privatisation amène à une situation d’oligopole : 83% des abattoirs français sont détenus par trois groupes industriels qui font les prix sur le marché tout en touchant la plupart du temps des subventions publiques. Quant aux abattoirs publics, ils sont souvent dépendants de leurs plus gros clients qui se permettent parfois de ne pas payer taxes et loyer, ce qui amène les collectivités à devoir pallier à ces manques.

Ces effets de l’industrialisation de l’agriculture sont fortement critiqués par les éleveurs  et éleveuses qui travaillent en agriculture paysanne. Établissant un lien particulièrement étroit avec leurs animaux, en les faisant naître, les nourrissant, les soignant, et les élevant, ces personnes voient l’abattage comme un point critique sur lequel ils et elles n’ont aucune prise et ne peuvent pas assumer jusqu’au bout leur responsabilité face à l’animal, ayant ainsi la sensation de l’abandonner dans un moment crucial. Ce sentiment d’abandon est renforcé par l’éloignement géographique entre la plupart des fermes et des abattoirs : il n’est donc pas évident pour l’éleveur ou éleveuse d’aller voir ce qu’il s’y passe. Les effets de l’abattage industriel peuvent aussi avoir des effets négatifs sur tous les efforts qui ont été fait dans l’élevage paysan.

 Ce sont donc des éleveurs et éleveuses qu’émane la demande de mise en place d’expérimentation de solutions adaptées à différents territoires et modes d’élevages. L’abattage à la ferme et les abattoirs mobiles font partie des revendications portées notamment par le collectif « Quand l’abattoir vient à la ferme ». La Confédération Paysanne participe aussi à ces réflexions dans un large travail sur la relocalisation des dispositifs d’abattage et la reprise d’abattoirs de proximité.  L’enjeu est d’importance, car les conditions de transport de la ferme à l’abattoir font aussi des dégâts. Les animaux sont stressés de quitter le troupeau et les distances parcourues peuvent être longues.  En effet, dû au manque d’abattoirs de proximité, il est nécessaire de faire tuer les bêtes à des dizaines de kilomètres des fermes. Aussi, il est fréquent que des animaux arrivent à destination stressés en raison du mélange avec des bêtes inconnues (mélange de troupeau), blessés, voire morts.

À l’heure actuelle, l’abattage des volailles à la ferme est autorisé, et celui de plus gros animaux pour la consommation personnelle est à peine toléré sur le plan réglementaire. Le contexte administratif et légal pose aussi des limites : le numéro d’agrément d’abattoir et les services vétérinaires fonctionnent par département, ce qui est peu compatible avec des abattoirs mobiles. La France interprète le règlement européen concerné en étant particulièrement stricte sur la définition des moyens à mettre en place, c’est-à-dire les normes et les installations.

Au contraire, des pays comme la Suède, l’Allemagne et l’Autriche ont développé des solutions restant dans le cadre de ce règlement européen en focalisant sur les résultats. Par exemple, l’Espagne permet qu’une salle de tuerie puisse ensuite servir de salle de découpe dans un temps différent. L’application stricte de ces normes en France contraint fortement les conditions de l’abattage, au point que certaines fermes sortent de la légalité en abattant leurs animaux à la ferme, quitte à mettre leur activité en danger en cas de sanctions. Ajoutés aux distances à parcourir, les coûts de l’abattage pour de petits nombres d’animaux incitent même certains et certaines à envoyer des animaux à réformer à l’équarrissage plutôt qu’à l’abattoir où leur viande pourrait servir à la consommation humaine. La normalisation des types de carcasses demandées par les abattoirs fait aussi que les races rustiques souvent plus minces sont mal valorisées, ce qui  n‘incite pas à la diversité des races dans les cheptels. Enfin, il faut aussi noter que pour un même volume de viande, on n’abat pas le même nombre d’animaux selon les espèces : par exemple, là où une ferme emmènera un ou deux bovins à l’abattoir, une ferme en ovins en emmènera un plus grand nombre, d’où l’enjeu d’avoir des abattoirs adaptés aux espèces et aux types de troupeaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Focus sur l’expérimentation des abattoirs mobiles

Depuis mi Avril, un article a été adopté dans le projet de loi agricole en commission à l’Assemblée Nationale et devrait être voté en séance plénière fin mai. L’article porte sur des dérogations concernant les abattoirs mobiles, à titre expérimental sur une durée de quatre ans. Cela reste dans le cadre du règlement européen ( (CE) n°853/2004 du parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicable aux denrées alimentaires d’origine animale). Cette réglementation implique une réorganisation des services vétérinaires départementaux pour le suivi de ces expérimentations.

Les exemples suivants sont tirés de projets menés par des éleveurs et éleveuses qui ont travaillé avec d’autres partenaires pour trouver les solutions d’abattages les plus adaptées à leurs territoires, types d’élevage et bien-être des animaux.

En Bourgogne, le système d’abattage mobile dit « Suédois » est expérimenté par la société « le Bœuf Éthique » fondée en Côte-d’Or. Le système prévoit un camion d’abattage mobile complet mono espèce (bovin) qui réalise toutes les étapes, de l’étourdissement et la saignée jusqu’à la réfrigération des carcasses. Le dispositif comprend 3 camions, 5 remorques et 5 salariés qui seront présents chaque jour de la semaine pour assurer le fonctionnement de l’outil et l’acheminement jusqu’à l’abattoir le plus proche pour la découpe et le conditionnement. Ces salariés travaillent en coopération avec l’éleveur ou éleveuse et sous la surveillance d’un vétérinaire. La société sélectionne rigoureusement les fermes avec qui elle travaille sur des critères de bien-être animal et de qualité de l’alimentation des bêtes (de l’herbe, pas d’OGM et de bonnes  conditions de vie des bêtes). Pour que cela reste rentable, les éleveurs travaillant avec le Bœuf Éthique sont incités à regrouper les dates de finition de leurs animaux afin d’en avoir jusqu’à 15 à abattre en une journée et faire appel au camion jusqu’à quatre fois par an. La société leur achète les bêtes sur pieds et les commercialise sous sa propre marque. La Côte-d’Or ayant majoritairement des troupeaux de plus de 80 vaches, cette solution est plus adaptée que dans les départements où les troupeaux sont de plus petite taille. La société prévoit d’afficher systématiquement l’origine de la viande et de proposer aux clients de faire leurs retours aux éleveurs et éleveuses via un système de notation pour pousser à faire de la qualité, mais aussi pour que les producteurs sachent où leur viande a été achetée.

En Ariège, il existe un service qui permet l’étourdissement et la saignée de la bête à la ferme puis le transport jusqu’à l’abattoir pour dépeçage et opérations ultérieurs. Dans cette situation, la viande peut être commercialisée pour la consommation humaine, mais ni les viscères ni le sang, et l’animal doit être transporté en moins de deux heures en l’absence de système de réfrigération. Cela ne concerne pour le moment que les animaux accidentés et un groupe de travail se réunit pour l’adapter aux animaux non-accidentés, avec l’utilisation d’un équipement de type caisson plus adapté en zone de montagne qu’un camion abattoir complet. L’expérimentation et le travail avec les services vétérinaires devraient permettre l’agrément de ce type d’outil.

 En Lozère, département entièrement classé en zone de montagne, des éleveurs de petits ruminants pratiquant la vente directe et l’ALODEAR (Association LOzérienne pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural) ont pour projet de monter un abattoir mobile qui serait accolé à des ateliers de découpe et de transformation fixes afin de limiter le transport des animaux. Soutenu par la Communauté de communes des Cévennes au Mont Lozère, ce projet est aussi  en attente d’agrément grâce à l’expérimentation qui permettra d’établir ses normes.

Concernant l’abattage multi-espèce, un projet est porté en Loire-Atlantique, où l’élevage est très diversifié. Un groupe d’éleveurs et éleveuses travaille avec l’abattoir de Challans,  la DDPP (Direction Départementale de Protection des Populations) et les vétérinaires praticiens pour mettre en place un caisson d’abattage qui se rendrait sur les fermes et transporterait en moins de deux heures les animaux abattus et saignés pour les transporter sur un lieu de traitement des carcasses.

Si elles nécessitent un certain temps de montage de dossiers, les structures d’abattoir mobile ont l’avantage de répondre à une forte demande. Dans le cas du Var où il n’y a plus d’abattoir depuis 30 ans, les éleveurs passent du temps et de l’argent pour transporter leurs bêtes dans les départements limitrophes, ce qui cause du stress aux bêtes. L’ADEVAR (Association pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural du Var) et la chambre d’Agriculture ont mis en place une organisation du transport des animaux vers les abattoirs et une redistribution des viandes auprès des éleveurs qui peuvent ainsi commercialiser en toute légalité et transparence auprès de leurs clients. À terme, mettre en place une structure d’abattoir de proximité dans le Var semble néanmoins essentiel, et cette solution remporte l’approbation de nombreuses collectivités prêtes à participer au financement du projet.

Dans le Vaucluse, l’élevage participe à l’attractivité du territoire et la valorisation du Parc Naturel Régional du Lubéron. Mais le département n’a plus que deux abattoirs, un en périphérie des Bouches-du-Rhône et un dédié à l’abattage hallal de manière temporaire, ce qui ne permet pas de couvrir tous les besoins, pose des problèmes de distance et ne va pas dans le sens du développement des circuits-courts et des attentes des consommateurs. De plus, les tarifs sont prohibitifs pour les petits lots, et les distances à parcourir peuvent être très longues selon l’emplacement géographique de la ferme.

Expérimenter l’abattage mobile serait donc particulièrement adapté. L’impact de cette pratique sur les abattoirs déjà en place peut se poser, mais il est à noter que les expérimentations concerneront de petits volumes et répondront à des demandes qui ne sont actuellement pas satisfaites par les abattoirs en place.

Faire plus petit, plus proche, plus adapté au terrain, aux espèces et aux spécificités locales, tel serait les atouts de l’abattage mobile. Dans cette même logique, redévelopper les abattoirs de proximité et les salles de découpe, les structures collectives aux mains des éleveurs-éleveuses et des décideurs irait aussi dans le bon sens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et les consommateurs et consommatrices ?

Concernant le coût, l’utilisation de structures mobiles ferait légèrement enchérir la viande d’environ 1 euro par kilo. À voir selon les situations si le surcoût est supporté par les éleveurs, les structures collectives ou les consommateurs. Quoi qu’il en soit, cette petite différence reste absorbable en circuits-courts et en vente directe. Et il est à noter que les abattoirs mobiles pourraient être un outil favorisant le développement de l’activité territoriale et des circuits-courts pour lesquels la demande est forte mais contrainte par le manque actuel d’infrastructures adaptées.

La transparence sur l’origine de la viande pourrait être meilleure avec le système des abattoirs mobiles. À l’heure actuelle, les grands groupes industriels ont les moyens d’afficher l’origine de chaque viande mais ne le font pas, notamment pour ne pas montrer aux consommateurs et consommatrices la distance du près à l’assiette impliqué par la concentration des abattoirs.

L’abattage à la ferme avec un abattoir mobile permettrait de réduire le stress de l’animal, or, une viande issue d’un abattage stressant est d’une qualité gustative moindre à cause de la production d’acide lactique dans les muscles, ce qui empêche la viande de maturer et d’être tendre, malgré le travail des ateliers de découpe et artisans bouchers. Et il se murmure en coulisse que retrouver un bon goût de viande via l’expérimentation des abattoirs mobiles serait peut-être ce qui pousserait les consommateurs et consommatrices à modifier durablement leurs habitudes. Par exemple en  réduisant la quantité de viande consommée pour privilégier une viande issue de filières vertueuses, et donc de valoriser le travail des éleveurs et éleveuses. On pourrait aussi imaginer que cela inciterait les consommateurs à se rapprocher des producteurs et productrices pour leur faire des retours sur la qualité de la viande et les encourager à continuer à produire mieux. Finalement, c’est peut-être ce retour vers la qualité qui remettrait le plus en cause le système industriel…

Une bonne qualité de viande pourrait aussi inciter à la consommation de morceaux issus de parties dites moins nobles mais tout aussi savoureux, pour valoriser entièrement la bête.  C’est déjà un peu ce qui se fait en AMAP avec les commandes de caissettes, non ?

Les rendez-vous dans le réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes :

Les questions autour des abattoirs sont vastes (et mériteraient presque une thèse à ce sujet !), si les abattoirs mobiles font partie des solutions, il existe de nombreuses autres alternatives à expérimenter, comme celles déjà mentionnées de la relocalisation et des salles d’abattage de proximité. Le réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes prévoit de se lancer dans la réalisation d’une série de plusieurs documents de type quatre pages comme celui sur le sujet de l’élevage paysan et des abattoirs. Pour continuer sur ce sujet, nous vous donnons rendez-vous en 2019 pour une journée de séminaire qui fera un point sur les avancées des expérimentations. Et en attendant, rendez-vous au forum de Clansayes dans la Drôme le 1er Juin où l’abattage sera évoqué au cours de l’atelier 3.