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État des lieux des difficultés des fermes en AMAP et conditions de mise en place des solidarités

Publié le : 22 septembre 2022

Résultats d’études menées en 2022 sur les régions AURA et IDF, par Olivier Marro et Marie D’Antimo

Autrices : Astrid Girard, Marie D’Antimo, sept 2022

INTRODUCTION

Le modèle AMAP s’est développé pour renforcer la viabilité et la vivabilité de l’agriculture paysanne sur nos territoires et transformer notre rapport à l’alimentation en générant de nouvelles solidarités.

Face à la multiplication des crises (covid, inflation, augmentation des charges, variations de la consommation de produits bio, sécheresse, tempêtes etc.), l’agriculture paysanne et les AMAP sont mises à rude épreuve.

En 2022, le Réseau AMAP Auvergne Rhône Alpes et le Réseau AMAP Ile de France ont lancé une étude sur leurs territoires respectifs afin d’identifier les difficultés des fermes et les solidarités expérimentées en AMAP ainsi que leurs conditions de mise en place.

Plus précisément, ces deux études devaient permettre :

Pour mener à bien ces deux études, un questionnaire en ligne a été diffusé aux paysan·nes et amapien·nes (177 réponses en AURA, 101 réponses en IDF) pour recenser largement les aléas auxquels sont confrontés les fermes et les initiatives mises en place pour y répondre. Puis, des entretiens ont été réalisés avec des amapien·nes et des paysan·nes (25 en AuRA, 44 en IDF) afin d’avoir une compréhension plus fine des leviers et des freins aux initiatives de solidarité dans les partenariats AMAP.

Ces études comportent un certain nombre de biais :

1/ Face aux aléas rencontrés par les paysan·nes, quelles initiatives des AMAP ?

A. La fréquence et la perception des aléas rencontrées par les paysan·nes en AMAP

On parle souvent d’aléas climatiques, sanitaires, de production de façon générale ; mais les aléas, s’ils sont inhérents au métier, comportent une part de hasard. Cependant, ils deviennent un risque lorsqu’ils sont associés à un degré de vulnérabilité. Or le système agricole tel qu’il fonctionne aujourd’hui rend les fermes et les agriculteur·rices vulnérables.

Une ferme fait face à une grande diversité d’événements ou d’aléas qui peuvent la mettre en difficulté. Pour comprendre comment les amapien·nes peuvent soutenir leurs paysan·nes, il était donc nécessaire d’identifier les besoins des fermes. Les réponses au questionnaire et les entretiens ont permis de différencier les aléas rencontrés par les fermes selon leur fréquence. Cette enquête a permis de constater un décalage de perception de la fréquence des aléas entre les réponses des amapien·nes et celles des paysan·nes.

En Ile de France, d’après les réponses des paysan·nes au questionnaire, les aléas qui arrivent le plus fréquemment (« souvent ») sont :

  1. Les aléas climatiques : Pour les paysan·nes et les amapien·nes, il s’agit de la difficulté à laquelle les paysan·nes sont le plus exposé·es. Toutefois, les amapien·nes ont moins conscience, que les paysan·nes, de la fréquence des aléas climatiques sur les fermes.
  2. Les problèmes techniques (difficultés relatives aux outils de production, panne d’une machine, usure d’un outil etc.)
  3. Le manque de main d’œuvre (difficulté à trouver et garder des personnes compétentes)
  4. La baisse du nombre d’adhérent·es : Depuis l’été 2021, paysan·nes et amapien·nes constatent qu’il est plus que difficile que précédemment d’atteindre le nombre de contrats nécessaires pour garantir la pérennité des fermes. Si ce problème concernait historiquement davantage les AMAP en territoire rural, il touche à présent des AMAP qui n’avaient pas ces difficultés précédemment. D’après les réponses au questionnaire, cette difficulté est plus fréquente pour les amapien·nes que pour les paysan·nes. Le renouvellement et la recherche de nouveaux membres étant gérés par des bénévoles amapien·nes, les paysan·nes avaient peut-être moins conscience des départs d’amapien·nes et du travail bénévole déployé pour y répondre.
  5. L’impact des invasifs : Cette difficulté est ressortie dans les réponses au questionnaire mais n’a jamais été évoquée lors des entretiens.

D’autres aléas ou difficultés arrivent régulièrement mais de façon plus occasionnelle (« parfois »). Le questionnaire a permis d’identifier que ces trois difficultés étaient systématiquement sous-estimées par les amapien·nes.

  1. Les problèmes de santé physique ou psychique : Cette difficulté regroupe des situations très diverses (accident du travail, burn out, maladie chronique etc.) qui peuvent être la conséquence (ou pas) de l’activité à la ferme. Elles affectent le plus souvent la capacité à travailler et donc à assurer la production. Elles mettent à l’épreuve le partenariat en testant la capacité du·de la paysan·ne à communiquer sur sa situation, celle du groupe à accueillir cette parole et à se mobiliser pour aider le·la paysan·ne à y faire face. Le fait que cette difficulté soit sous-estimée par les amapien·nes laisse penser que les paysan·nes ne sont pas toujours en capacité de partager leur situation, ou encore, que les amapien·nes ne sont pas toujours réceptif·ves à ces échanges.
  2. La gestion administrative de la ferme et le respect des réglementations : Les amapien·nes ont beaucoup moins conscience de la charge de travail et des difficultés liées au respect des réglementations et à la gestion administrative. Cela s’explique par une moindre communication des paysan·nes sur le travail administratif et un manque de connaissance des amapien·nes sur les réglementations qui régissent le fonctionnement d’une ferme (labellisation, permis de construire, droit du travail, confinement des volailles, utilisation de la ressource en eau etc.). Moins visible, la gestion administrative constitue pourtant un point névralgique des difficultés des fermes. Les autres difficultés occasionnent bien souvent une augmentation de la charge administrative (déclaration d’un accident de travail, instruction d’un dossier pour l’indemnisation des calamités agricoles etc.).
  3. Les difficultés d’écoulement des récoltes : Dans les entretiens, les paysan·nes partagent leurs craintes d’une offre en produits bio saturée par rapport à une demande stagnante. La baisse du nombre d’adhérent·es dans leurs AMAP est d’autant plus difficile que les paysan·nes font face à une baisse dans leurs autres débouchés (biocoop, boutique à la ferme, marché etc.). Or, les amapien·nes sont moins conscient·es de ces difficultés d’écoulement des récoltes et pensent parfois que la baisse du nombre d’adhérent·es peut être compensée par une augmentation des ventes de la ferme dans ses autres débouchés.

D’autres aléas ou difficultés, moins fréquents, restent toutefois à noter :

Toutefois, la fréquence d’un aléa n’est pas le seul facteur déterminant l’impact d’un aléa sur une ferme. Certains aléas sont très fréquents (les invasifs par exemple), mais occasionnent moins de difficultés qu’un aléa occasionnel qui peut empêcher le bon fonctionnement de la ferme (accident du travail par exemple).

Face à la multiplication des crises, ces différents aléas et difficultés peuvent se cumuler et se renforcer ce qui peut mettre en péril la viabilité et la vivabilité du travail de paysan·nes.

B. Les initiatives de solidarité dans les partenariats AMAP

La majorité des témoignages ont tenu à revaloriser l’action solidaire des AMAP : l’AMAP est déjà une forme de solidarité, non seulement par le contrat, mais aussi par d’autres moyens. Reconsidérer l’action de l’AMAP, c’est ainsi reconnaître à la fois sa capacité d’adaptation, sa présence concrète et sa participation au soutien moral, des paysan·nes.

De petites structures peu fondées sur la procédure : faiblesse ou atout de l’AMAP ?

La plupart du temps, les AMAP ne disposent pas de procédures définies à suivre si un·e paysan·ne demande du soutien. Si cette absence de procédure pourrait apparaître comme un frein à la solidarité, elle a l’avantage de donner aux AMAP une certaine souplesse dans la réponse qui est apportée au besoin des paysan·nes concerné·es. Lorsque le problème est exprimé, un temps de réflexion collective est souvent pris pour décider ce qu’il faut faire. Il y a quasiment toujours quelque chose qui est mis en place.

Exemptes de procédures définies, les AMAP font ainsi preuve de polyvalence, d’inventivité et d’une forte capacité d’adaptation, qui font peut-être la spécificité de la solidarité en AMAP. La force des AMAP se situerait alors dans la capacité de prise en charge collective d’un besoin lié à des circonstances données, et dans le développement d’une réponse adaptée, inventive et humaine, qui puise ses forces dans le lien social.

Face à l’isolement en agriculture, être « là » : pas de procédures mais une vraie présence

Contrairement à d’autres structures qui apparaissent plus lointaines, la force des AMAP réside aussi dans le fait d’être , très concrètement. Alors, l’AMAP est peut-être ce point d’entrée simple, cet acteur de première ligne, ce réseau de proximité si nécessaire pour faire face à l’isolement et aux difficultés.

De plus, parce que l’AMAP fonctionne notamment sur l’interconnaissance (je connais mon ou ma paysan·ne), la mobilisation des amapien·nes a peu de chances de s’effriter : personnalisée, la demande est souvent prise à cœur par les amapien·nes, qui ne « lâchent » pas le·la paysan·ne. En d’autres termes, le·la paysan·ne n’est pas un dossier parmi d’autres, mais bel et bien une personne connue avec laquelle on s’engage !

A la fois impliqué·es et détaché·es, ils·elles peuvent agir de façon volontaire sans pour autant avoir à s’investir émotionnellement. La dimension volontaire est aussi intéressante : bien sûr, il est toujours difficile de mobiliser des bénévoles, mais l’absence de dimension professionnelle confère tout de même à l’action solidaire une dimension plus conviviale, parfois sympathique, ce qui l’encourage.

L’AMAP, un soutien moral fondamental

La plupart des entretiens (ainsi que le questionnaire) ont souligné que la présence des AMAP apportait un soutien moral indéniable aux paysan·nes, et que cette dimension du soutien en AMAP était cruciale pour affronter la réalité parfois douloureuse du métier de paysan·ne.

Indéniablement, les paysan·nes sont exposé·es à un certain mal-être, dans un environnement marqué par de nombreuses contraintes et où persiste une forte pression à gérer seul·e la ferme. A cela s’ajoute une impossibilité de s’accomplir en tant qu’entrepreneur·euse autonome, en accord avec ses pratiques, tout en maintenant un certain équilibre entre travail et vie personnelle, qui peut créer une souffrance professionnelle et un mal-être profond.

Même si les actions sont parfois peu efficaces sur la réalité concrète et matérielle de la ferme, les témoignages soulignent l’importance de ce soutien moral. Il est parfois salvateur : quand rien ne va mais que les amapien·nes sont présentes pour leur paysan·ne, la situation est un peu moins difficile à affronter. Les pratiques AMAP renforcent la vivabilité du métier de paysan·ne en leur permettant de s’accomplir dans des pratiques en accord avec leurs valeurs, de maintenir un cadre social protecteur, et de protéger leur équilibre mental.

Les compétences des amapien·nes dans les actions de solidarité

Malgré un certain intérêt pour l’agriculture présent chez certain·es, la plupart des amapien·nes ne sont pas formé·es au travail agricole. Pour autant, les amapien·nes ont des compétences diverses et variées, parfois en lien avec leur métier, leurs loisirs et leurs expériences.

Que ce soit dans le cadre d’actions originales (un bal folk, un concert, etc.) ou d’actions plus simples (une vente de crêpes, un peu d’aide numérique, etc.), les amapien·nes peuvent inventer des actions de solidarité très diverses à partir de leurs compétences propres ! Cette dimension gagnerait d’ailleurs vraiment à être approfondie et encouragée en AMAP, car elle pourrait être bien plus développée.

Des possibilités de soutien approfondi, mais qui ne concernent pas la majorité

Il existe bel et bien des formes de solidarité très approfondies et très engageantes, qui sont mises en place par certaines AMAP, par exemple les cagnottes solidaires. Ces formes de solidarité très poussées sont donc possibles en AMAP et aboutissent à des résultats importants. Mais elles ne sont pas forcément possibles dans toutes les situations (jeune AMAP, nombre d’amapien·nes trop réduit, absence de personnes moteur, etc.).

Un autre frein à leur mise en œuvre est l’incertitude latente, du côté des paysan·nes comme des amapien·nes que l’on pourrait résumer ainsi : est-ce que cette action entre dans le cadre de l’AMAP ? Enfin, les paysan·nes qui bénéficient de ces actions émettent souvent des doutes sur la pérennité de ce soutien : à long terme, faut-il compter sur ces actions ?

Une solidarité plus faible pour les paysan·nes éleveur·euses, céréalier·ères, arboriculteur·rices etc.

En Ile de France, l’enquête a mis en lumière que les paysan·nes non maraicher·ères (éleveur·euses, céréalier·ères, arboriculteur·rices etc.) ne bénéficiaient pas de la même solidarité que les maraicher·ères. Leurs contrats AMAP ne sont pas adaptés à leurs contraintes de production, fonctionnant bien souvent sur une logique de pré-commande de quantité de produits plutôt qu’un engagement sur une part de production variable. Cela ne leur laisse pas la flexibilité nécessaire pour adapter le contenu de leur panier en fonction de leur production en cas d’aléas.

Les paysan·nes non maraicher·ères ont souvent l’impression de ne pas avoir une relation privilégiée avec les amapien·nes (pas d’aide pour décharger le camion, isolement lors de la distribution, pas de référent·e pour communiquer etc.) ce qui complique leur mobilisation en cas d’aléas. Si les arboriculteur·rices peuvent bénéficier d’un soutien financier face au gel, il s’agit d’une action délicate à répéter d’une année sur l’autre.

Les spécificités des productions, notamment les contraintes sanitaires, rendent difficiles la mobilisation des amapien·nes pour des ateliers pédagogiques. Il est souvent difficile de trouver des tâches adaptées aux compétences et envies des amapien·nes et qui répondent aux besoins des paysan·nes.

Finalement, l’action solidaire des AMAP est peut-être de répondre à ce besoin auquel aucune autre structure ne répond, de prendre une place libre : l’accompagnement humain et l’amélioration de la vivabilité du travail paysan (rendre la situation humainement supportable dans le temps) et ainsi de la viabilité de la ferme.

2/ Les clés de réussite pour un partenariat solidaire entre paysan·nes et amapien·nes

A. Parole paysanne / oreille amapienne, et représentations

L’expression des problèmes des paysan·nes n’est pas simple, mais elle est une condition nécessaire à la mise en œuvre de pratiques de solidarité. Comment appréhender cette contradiction ?

Parler pour être soutenu·e ? La sollicitation paysan·ne, une clé de la mobilisation amapienne

La plupart des amapien·nes soulignent que c’est surtout quand le besoin est exprimé directement par les paysan·nes que la mobilisation a lieu (« il faut que ça vienne de vous »). Ce n’est pas étonnant car l’interconnaissance et l’émotion sont deux ressorts de l’action collective : alors, quand quelqu’un que l’on connaît nous fait part d’une situation douloureuse qu’il·elle vit, cela donne davantage envie de se mobiliser.

Malheureusement, les situations difficiles ne sont pas toujours exprimées. Bien sûr, ce n’est pas parce que personne ne dit qu’il n’y a pas de difficulté. Au contraire, être en difficulté est souvent source de mal-être et de manque de confiance qui compliquent encore davantage le fait de parler de soi et de ses problèmes. Par conséquent, un pas de l’AMAP vers le·la paysan·ne peut souvent être salvateur, ouvrir une brèche pour réfléchir ensemble à une façon de prendre en charge la situation. Les paysan·nes ont souvent souligné l’importance que l’AMAP vienne vers elle·eux. Néanmoins, la dimension intime freine à la fois les paysan·nes sur le fait de s’exprimer librement sur le sujet, et les amapien·nes d’aller vers les paysan·nes car ils·elles ont peur de s’immiscer dans leur intimité.

Un enjeu existe alors : vaut-il mieux agir préventivement (sans attendre la demande) quitte prendre le risque de réduire quantitativement et qualitativement la mobilisation, et peut-être d’entrer dans l’intimité des paysan·nes ? ou est-il préférable de se mobiliser en réaction à une demande, quitte à risquer de passer à côté d’un besoin qui n’aura pas été exprimé, faute de possibilité ?

Des difficultés profondes mais souvent tues : comment parler ?

En cherchant à analyser ce qui se joue dans la difficulté de certain·es paysan·nes à exprimer leur besoin de soutien, on comprend rapidement, notamment, que la relation entretenue avec l’exploitation est souvent particulière, intime : c’est un peu « chez soi », quelque chose que l’on a monté avec beaucoup d’efforts. Par conséquent, le fait d’admettre une difficulté sur la ferme fait aussi appel à une forme de fierté, mise à mal par l’aveu du problème. L’impression d’échec personnel, souvent évoquée dans les entretiens, est un frein supplémentaire à la libération de la parole. Enfin, le fait de ne pas s’exprimer naturellement sur les problèmes rencontrés naît aussi d’une difficulté à jauger si le mal-être est suffisant et donc légitime.

Bien sûr, tous·tes les paysan·nes ne vivent pas la chose de la même façon ; certains facteurs influent directement sur leur façon d’évoquer ou non leurs difficultés, en AMAP et de façon générale. C’est notamment le cas de l’ancienneté dans le métier : après plusieurs années, on comprend peut-être mieux que les difficultés sont inéluctables en agriculture et qu’elles n’engagent pas nécessairement la compétence des producteur·rices. C’est aussi l’ancienneté en AMAP qui a un impact : quand des liens forts sont tissés, parler est bien plus simple. Enfin, on ne peut pas écarter la dimension genrée de la question : dans la majorité des entretiens, ce sont souvent les paysannes qui vont parler aux amapien·nes, les paysans préférant éviter d’évoquer ce sujet.

« Le métier » et ses non-dits : en agriculture, une parole contrainte ?

Parmi les facteurs qui permettent de mieux comprendre le rapport des paysan·nes avec le fait d’exprimer ses difficultés, le plus prégnant est probablement ce qu’un récent article du Civam caractérise comme une « culture de l’effort présente dans le monde agricole »[1] à laquelle s’ajoute une « minimisation de leur souffrance [celles des paysan·nes] ». Plusieurs paysan·nes ont ainsi parlé d’une « culture paysanne » ou « fierté paysanne » pour évoquer ce tabou qui existe dans le milieu agricole concernant l’expression des difficultés rencontrées sur la ferme : il faut faire face, sans se plaindre.

Souvent, l’habitude de se taire est aussi mise en lien avec un mélange de fierté, de honte et de culpabilité. Cette honte est à la fois une honte de ne pas bien faire son métier, de ne pas abonder pour ses animaux, de ne pas « s’en sortir » économiquement. Alors, en fonction de leur imprégnation plus ou moins forte de ce tabou, les paysan·nes sont plus ou moins amené·es à évoquer leurs difficultés.

De façon générale, la logique entrepreneuriale est assez prégnante et constitue un frein à la mise en place de pratiques de solidarité. On pourrait la résumer ainsi : la ferme est une entreprise pourquoi faudrait-il la soutenir plus que d’autres ? Or, bien sûr, la ferme est une entreprise, mais peut-être pas comme toutes les autres : non seulement le vécu du métier est différent, les contraintes y sont multiples et l’isolement y est très fort, mais il s’agit aussi d’une entreprise dont le bon fonctionnement est directement lié à la pérennité de notre système agro-alimentaire en général…

Parler, mais à qui et avec quelle réaction ? Ce qui se joue au cœur de l’interaction

Le premier pas est souvent le plus difficile à faire : on ne sait pas comment vont réagir les amapien·nes, ces personnes qui sont en quelque sorte à la fois des « client·es », des « patron·nes », mais aussi un entourage proche. Alors, pour faciliter ce premier pas, l’existence d’un·e interlocuteur·rice de confiance est fondamental, qu’il s’agisse d’un·e référent·e ou non.

De plus, les expériences passées (vécues ou dont on a entendu parler) ont un fort impact sur l’envie de parler. Assez simplement, une bonne expérience donne envie de recommencer, quand une mauvaise expérience (même légère) freine sérieusement les élans futurs et empêche souvent de réessayer. Une mauvaise réaction de l’AMAP peut d’ailleurs avoir un impact émotionnel très fort. C’est une question de confiance qui semble se jouer ici : et en quelques mots, en quelques gestes, le fil (très fin) du lien de confiance s’abîme.

Les pratiques de solidarité sont donc conditionnées par l’existence d’un fort climat de confiance, des deux côtés. Si les paysan·nes n’ont pas confiance en la réaction bienveillante des amapien·nes, le besoin n’est pas souvent exprimé. En retour, si les amapien·nes n’ont pas confiance en la bonne foi des paysan·nes, la demande de solidarité est souvent rejetée.

Prendre en considération tous ces enjeux qui existent dans les interactions qui précèdent la mise en œuvre d’une solidarité en AMAP, et agir en leur sens, permettrait de multiplier, d’intensifier et de solidifier les pratiques de solidarité en AMAP.

B. Face à la distance géographique et au manque de temps, les motivations des amapien·nes et paysan·nes pour agir

L’enquête a confirmé que certains facteurs « matériels » peuvent limiter la mise en place d’actions de solidarité (distance géographique, disponibilité en temps et compétences des amapien·nes). Toutefois, il ne s’agit pas de facteur insurmontable face à la motivation de certain·es amapien·nes et paysan·nes.

Face à la distance géographique et à la faible disponibilité des amapien·nes, les actions moins fréquentes restent efficaces pour les amapien·nes et les paysan·nes. Le caractère « exceptionnel » (peu fréquent) de l’organisation d’une journée à la ferme fait de ce temps un moment privilégié où les liens humains sont renforcés.

Au-delà des conditions matérielles, les motivations des amapien·nes et des paysan·nes sont déterminantes dans la mise en place d’actions de solidarité. Paysan·nes et amapien·nes témoignent que c’est avant tout les motivations militantes de soutenir une autre forme d’agriculture et les motivations humaines et affectives (lien, proximité relationnel, confiance mutuelle, capacité d’écoute) qui permettent de mettre en place des initiatives de solidarité. On se mobilise par conviction (militantisme) et par « affection ».

La solidarité dans les partenariats AMAP est aussi le fruit de motivations plus individuelles résultant d’une logique d’interdépendance et d’un intérêt commun. Les amapien·nes prêtent main forte à leur paysan·ne pour avoir un meilleur panier. Les ateliers à la ferme constituent une aide extérieure économiquement avantageuse pour les paysan·nes. Dans les initiatives de solidarité, on constate donc une forme de réciprocité à court ou moyen terme.

Toutefois, les motivations seules ne permettent pas de concrétiser les actions de soutien auprès des fermes. Il est indispensable d’avoir un partenariat entre l’AMAP et la ferme suffisamment structuré et organisé.

C. Les bonnes pratiques des amapien·nes et des paysan·nes indispensables pour une solidarité effective

Pour que la solidarité soit effective, amapien·nes comme paysan·nes doivent poser ensemble les bases d’un partenariat AMAP solides.

Le contrat AMAP constitue le socle du partenariat. Pour qu’il soit engageant et sécurisant, amapien·nes et paysan·nes doivent d’échanger sur :

Au-delà des modalités du contrat, amapien·nes et paysan·nes doivent ensemble construire une relation de confiance basée sur la transparence et la communication. A la base de cette relation, amapien·nes et paysan·nes doivent partager une vision commune de l’agriculture paysanne et du modèle AMAP. Les attentes des un·es et des autres doivent être exprimées clairement et être comprises. L’accompagnement de médiation dans les partenariats AMAP révèlent qu’il est aussi indispensable d’avoir des représentations alignées sur les différentes pratiques agricoles.

La mise en place de bonnes pratiques de communication permet d’avoir une meilleure compréhension et réponse aux enjeux de la ferme. Idéalement, il faudrait donc avoir :

Si l’étude a fait ressortir le besoin d’ouvrir des espaces de parole pour que la parole paysanne s’exprime, les échanges ont aussi montré la nécessité d’accompagner les référent·es et plus largement les amapien·nes à écouter les besoins des paysan·nes et à réagir. Si les situations douloureuses sont difficiles à exprimer, elles sont aussi difficiles à entendre et à prendre en charge. Les amapien·nes ont manifesté l’impression d’être démuni·es face aux problèmes des paysan·nes. Des échanges avec l’association Solidarité Paysans, qui forme justement ses bénévoles sur ce sujet, ont abouti à l’idée de créer une dynamique commune autour de cet enjeu.

Enfin, si l’AMAP est un espace où les paysan·nes s’engagent à être transparents sur la situation de leur ferme, les amapien·nes doivent eux respecter les paysan·nes dans leur qualité de gérant, sans faire preuve d’intransitivité ou d’ingérence.

Des pratiques efficaces de communication de la part des référent·es amapien·nes et des paysan·nes permettront aux amapien·nes d’avoir une bonne compréhension des réalités de leurs paysan·nes partenaires. Les ateliers à la ferme sont un moment privilégié pour prendre conscience de l’ampleur de la tache des paysan·nes et renforcer les motivations militantes de soutenir son·sa paysan·ne face aux aléas.

Ces différentes pratiques permettront de construire progressivement une proximité relationnelle qui facilitera la mobilisation des amapien·nes pour aider leurs paysan·nes partenaires.

CONCLUSION : Les AMAP dans un monde complexe, comment renforcer la résilience de notre modèle face aux crises ?

Dans le mouvement des AMAP, l’idée d’un « désengagement » est assez présente. Les comportements consommateurs existaient déjà il y a vingt ans au début des AMAP. Cela n’empêche pas de maintenir une certaine vigilance, notamment dans un contexte de concurrence entre circuits courts, et de nécessaire renouvellement des collectifs AMAP,

En tout cas, ces études menées en AuRA et IDF ont souligné l’importance de (re)mettre la solidarité au cœur du modèle AMAP. La solidarité en AMAP revêt une dimension collective cruciale dans la mesure où elle répond à des enjeux systémiques. En d’autres termes, être solidaire en AMAP est un acte politique, ce n’est pas donner ou recevoir la charité, c’est prendre en charge collectivement la question de notre système agro-alimentaire en général.

Face aux crises sanitaires, climatiques et économiques, des débats s’ouvrent : faut-il flexibiliser ou consolider le modèle AMAP ? La question n’est évidemment pas tranchée ici, mais elle appelle à un véritable travail effectué à l’échelle des réseaux et du MIRAMAP : renforcer la résilience du modèle AMAP en travaillant sur les fondamentaux du partenariat et en admettant ses limites.

Pour aller plus loin, vous pouvez demander les deux études de Marie (AuRA) et d’Olivier (IDF) par mail à communication@amap-aura.org et contact@amap-idf.org

et consulter le livret Outils et Initiatives pour faire vivre les solidarités en AMAP en cliquant ici.